Où est la maison de mon ami ?
Publié le 1 Mars 2008
"J'ai senti que quelqu'un que je connaissais s'approchait, c'est bizarre, hein ?", entendu dans la rue, dit par un inconnu, derrière moi... je ne me suis pas retournée, j'ai juste voyagé dans la vie de ce quelqu'un d'autre...
J'adore saisir au vol, en chemin, ces bribes... non de comptoir mais de rue... ces mini-dialogues échangés qui ouvrent sur des mondes parallèles.
De la même façon, je suis transportée quand je vois dans le métro (Porte de Montreuil) assis côte à côte, le lecteur trentenaire et "bobo" du Monde (écharpe à carreaux, blouson en jean, clean...) et les deux immigrés slaves, trentenaires aussi, arrivant des "puces" deux grands sacs transparents à la main, contenant deux très belles couvertures identiques. Ces mondes qui viennent se joindre ici, ces vases qui communiquent et entremêlent leurs valeurs, leurs modes de vie si différents. Ces miroirs de notre planète.
Alors, grâce à ces inconnus, et à la rêverie dans laquelle j'ai été bercée, j'ai revu les images d'un pays lointain, d'un temps lointain, celles d'un film iranien : Où est la maison de mon ami ? de 1987, j'ai revu le petit garçon dans le "patio" de la maison, avec sa mère étendant des draps blancs sur un fil, le petit garçon partant, dans un paysage étrangement ouvert aux quatre vents, libre terriblement, rendre son cahier à son ami, pour que celui-ci puisse faire ses devoirs et lui éviter d'être puni le lendemain à l'école. Le film raconte sa pérégrination pour trouver la maison de son ami.
J'avais découvert ce film en 1997, j'étais alors prof de FLE (français langue étrangère) remplaçante dans une classe d'accueil de collège pour jeunes immigrés, nous avions la chance de bénéficier de l'intervention d'un acteur dans la classe, qui venait, une ou deux fois par semaine, initier les enfants à l'art du jeu, au théâtre... Ces jeunes Chinois, Sud-américains, ou Européens... parfois débutants en français, ont ainsi appris une scène de Bérénice (qu'ils ont jouée en fin d'année, quelle fierté pour nous tous !). J'étais prof débutante à l'époque, ma voix a tremblé quand j'ai dû les présenter au spectacle de fin d'année, eux ont été magnifiques :
" Je n'écoute plus rien, et pour jamais, adieu.
Pour jamais ! Ah ! Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus !
L'ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence ?
Ces jours si longs pour moi lui sembleront trop courts. "
Bérénice (Acte IV, scène 5) ; Jean Racine
C'est aussi grâce à cet homme dont j'ai oublié le nom... que j'ai découvert, que tous ces enfants ont découvert : "Où est la maison de mon ami ?". Aujourd'hui ça continue à vivre à l'intérieur de moi, ces images, cette émotion d'autrefois.