Socrates, je désespère...
Publié le 11 Mai 2008
et, si je m'en reporte à André Comte-Sponville, dans son texte Le bonheur, désespérément, c'est le début de la félicité. Le philosophe y fait une éclatante démonstration que désir et espoir sont choses distinctes (le premier prévalant au second); amenant ainsi l'auditeur (il s'agissait au départ d'une conférence) à se convaincre, grâce à un impeccable tour d'horizon philosophique, que, puisque tous nous recherchons le bonheur, même au moment de nous pendre, cf. ce cher Pascal, le désespoir, cf. l'ami Kierkegaard, reste le plus sûr moyen de se l'assurer.
En simplifiant : qui n'espère rien ne peut être déçu, ni être blessé (et sera tout du moins prémuni). Le désir étant quant à lui moins source d'insatisfaction, car pouvant être comblé.
J'ai bien sûr adhéré et été séduite par cette pensée énoncée de façon si limpide. J'y ai même trouvé illustration à mon cher fado et sa culture, celle d'un peuple qui érige le fatum en préambule à toute allégresse : soyons prévenus que le pire est toujours possible, et, partant de là, mettons-nous en quête de l'indécouvert.
J'ai toutefois senti un léger malaise m'envahir devant deux constatations... l'une d'ordre grammatical, l'autre culturelle. La première est que le verbe espérer est suivi en français de l'indicatif, donc du mode de la réalisation, des faits concrets, de l'observable, du descriptible; tandis que le verbe désirer est lui accolé au subjonctif, "conjoint" aux sentiments, aux doutes, à une réalisation peu probable. J'espère qu'il fera chaud demain, et, je désire qu'il fasse chaud... ne disent pas tout à fait la même chose. En espérant j'ai plus de certitude qu'en désirant... j'espère et j'attends... parce que je sais que ça va probablement advenir... Si je désire, je suis d'emblée dans l'incertain, ou l'irréel... (ainsi l'énonce le système de la langue française).
La seconde, je l'ai trouvée lors de mes vacances en terre lusitanienne... un dicton que la sagesse populaire s'est plue à me répéter : Quem espera desespera, mas quem tem esperança sempre alcança. Pour le traduire, un dilemne... esperar, signifiant à la fois attendre et espérer. Qui attend, toujours (se) désespère, ou, qui espère toujours désespère... mais, avec l'espérance toujours on atteint son but. "Qui attend, toujours (se) désespère" semble logique, sinon, la deuxième partie du proverbe devient un non-sens : mais, avec l'espérance toujours on atteint son but...
André Comte-Sponville rappelle qu'on n'espère que ce qu'on ignore, ou que ce qu'on craint, d'où le risque de rater son bonheur.
Mais, le Cap de Bonne Espérance révéla aux marins que leur attente avait valu la peine, que leur frayeur n'avait plus raison d'être, que le monstre Adamastor ne les avait pas avalés, et qu'ils avaient ouvert de nouveaux chemins...
Ce peuple chantant le désespoir est aussi celui qui attend le retour du roi Sebastiao, o incoberto, le roi caché ou désiré, et, qui espère le cinquième Empire... (sorte de messianisme lusitanien, dont Pessoa a écrit le Message).
Etre désespéré, oui... mais pas sans espérance... cette qualité de l'âme étant devenue en portugais aussi le prénom d'une femme. Suivre Sénèque, oui, et désapprendre à espérer (ne plus attendre, ne plus avoir d'espoir), mais continuer à cultiver l'espérance en nous (pas seulement celle qu'on place en Dieu... mais surtout celle qui nous fait, ou fera, atteindre l'indécouvert).
Pour cette raison, je désespère de nos gouvernants; José Socrates, premier ministre portugais (PS), semble en décevoir quelques uns... décevoir leurs attentes, leurs espoirs... Pourvu que jamais il ne se mette à vouloir détruire leurs espérances...
"Je réalise", Sinik et James Blunt (choisi par ma petite soeur, elle adore ! écouté pour la première fois en bord de mer, là-bas...)