De la nécessité du ras le bol
Publié le 22 Mai 2008
Un jour ou l'autre nous nous révolterons... Un jour ou l'autre nous ne "courirons" plus... Un jour ou l'autre nous n'aimerons plus qui ne sait pas nous écouter, qui nous méprise. Un jour nous n'obéirons plus.
J'étais en vacances au Portugal pour l'anniversaire de la révolution des oeillets du 25 avril 1974, et de temps à autre j'allais au cyber-café de la plage, lire mes messages, et poster quelques commentaires sur les blogs. Mais, saperlipopette, comme c'est ennuyeux ces claviers qui changent d'un pays à l'autre : eux ils n'ont pas AZERT- POIUY mais... l'autre... ce qui limite grandement la rapidité de la blogueuse de base. De plus, en prime, j'avais un problème d'accents... et oui, en portugais il y a le "til" sur le "a", ou sur le "o", l'accent tonique sur toutes les voyelles, mais "nada" concernant les accents aigu, grave, circonflexe ou tréma, sur les a, e, i, o, u, y... français ! Quel est le problème ? me direz-vous. C'est un sujet de révolte figurez-vous. C'est même presque la fin du monde.
Erik Orsenna, l'a très bien traité dans son récent livre La révolte des accents, je vous en transcris la quatrième de couverture :
"Depuis quelque temps, les accents grognaient. Ils se sentaient mal aimés, dédaignés, méprisés. A l'école, les enfants ne les utilisaient presque plus. Chaque fois que je croisais un accent dans la rue, un aigu, un grave, un circonflexe, il me menaçait.
- Notre patience a des limites, grondait-il. Un jour nous ferons la grève. Attention, notre nature n'est pas si douce qu'il y paraît. Nous pouvons causer de grands désordres.
Je ne prenais pas les accents au sérieux. J'avais tort." (éditions Stock, 2007)
Et, un jour ils le firent ! ils s'envolèrent et désertèrent les mots.
Ils sont tout petits les accents, ils semblent inutiles, superflus, mais enlevez-les et vous verrez comme ils nous manquent... C'est ce que j'ai expérimenté sur mon clavier portugais... Le "ou" n'a plus de sens... le "a" est tout penaud, de ne plus savoir s'il est verbe ou préposition... Comme les épices (métaphore elle aussi empruntée au livre d'Orsenna) qui n'ont l'air de rien, ça ne nourrit pas une épice, pourtant sans elle les mets n'ont plus de goût, la vie nous semble fade... De là sans doute, que les accents et les épices s'embarquèrent à bord d'une jonque faisant route vers les Indes.
A toute révolte, à toute tempête, à tout ouragan, il y a des signes annonciateurs.
Ils sont souvent clairs ces signes, ils s'expriment sous forme de plaintes réitérées, de grèves, de grognements, de manifestations même. C'est le "ras-le-bol".
Si peu souvent entendu...
Un jour l'immigré, le sans-papiers en aura assez d'être stigmatisé, dénigré. C'est le célèbre sketch de Fernand Raynaud. Un jour le boulanger ne vous fera plus votre pain.
http://fr.youtube.com/watch?v=A9IVJl8o43Q
"Je suis pas un imbécile..."
"Fous le camp! Tu viens manger le pain des Français!"
Alors, un jour, il nous a dit: « J'en ai ras le bol! Vous, vos Français, votre pain et pas votre pain... Je m'en vais! »
Alors, il est parti, avec sa femme et ses enfants. Il est monté dans un bateau, il est allé loin au delà des mers.
Et, depuis ce jour là, on ne mange plus de pain...
Il était boulanger!"
Comme les accents, l'étranger est parti sur un bateau, il a fui ce pays qui le rejetait, qui l'humiliait.
Concernant l'amour c'est pareil... un jour, je ne "courirai" plus... après ceux qui passent leur temps à jeter le pain que je leur ai offert...
Immigrée, exilée, dans ce monde où les amoureux se considèrent comme des marchandises... des corps sexuellement utilisables (des "sex-toys") voire transmissibles, socialement fréquentables, où ils se toisent, s'évaluent, s'échangent... et finalement se jettent... ou se zappent...
Etrangère à tout ça... je ne comprends rien à cette langue, où les accents ne servent plus à rien, où l'humain n'est plus que l'accessoire d'un immense jeu... Qui sont les joueurs ? Qui sont les pions ? Pas forcément ceux qui le croient.
Alors, je vous en prie, cessez de nous dire de "manger de la brioche", à nous qui n'avons plus les moyens de nous acheter du pain (car le boulanger est parti !).
Mais, quand nous ne "courirons" plus... le monde ne sera plus. Alors, écoutez notre plainte, notre "ras-le-bol". Avant qu'il ne soit trop tard...
"Chais pas pas pas, chais pas... Un jour je t'aimerai moins, jusqu'au jour où je ne t'aimerai plus... Un jour je courirai moins, jusqu'au jour où je ne courirai plus... résidents, résidents de la République... où le rose a des reflets bleus... Chais pas pas pas." Bashung