L'homme charmant et les prêtresses

Publié le 6 Juillet 2008



  

Tournez manège... circulez... consommez !!! Samedi, à mon arrivée dans ce temple de la consommation qu'est  le Forum des Halles, j'ai été surprise par ce contraste de policiers, de matraques, de menottes, et de rêves d'enfant.

J'allais moi aussi sacrifier au Dieu de notre monde : acheter. Nouvelle façon de prier : acheter. J'errais depuis 20 bonnes minutes dans la cathédrale du livre et du disque, dans le silence requis pour mieux me recueillir avant d'acheter, quand au rayon pour enfants, une voix de femme, une mère sans doute, fit résonner ces propos dans l'immensité : "C'est très important que tu apprennes à rester seule avec un livre, comprends-tu ce que ça signifie, le contact seul à seul avec le livre...?". La petite fille sembla agacée, et s'éloigna le corps un peu tordu, en équerre, un bras l'entraînant vers la terre... pendant que l'adulte continuait sa litanie...  

Une de mes prières venait déjà d'être exaucée, car j'avais déniché le livre tant recherché : Loin de Chandigarh, pour l'offrir à l'amie dans l'épreuve, et ainsi faire circuler la bonne parole... de Tarun J. Tejpal : "L'amour n'est pas le ciment le plus fort entre deux êtres. C'est le s...*",  première phrase du roman. Je traînais encore un peu, juste pour le plaisir de regarder, de toucher quelques icônes aux riches illustrations... Et, de nouveau, le silence fut brisé, cette fois par les cris d'un tout petit enfant, un presque bébé, enchevêtré horizontalement dans le bras de son probable papa. Je fus surprise par le calme de l'homme, sa capacité à rester stoïque et silencieux, je me dis que ça doit être ça les "nouveaux pères" : ils savent faire taire leurs émotions, ne pas perdre leur self-contrôle... dans des situations où les mères consolent, bercent, perdent patience, finissent par crier autant que leur progéniture. Ils assurent les jeunes hommes de 2008, pensai-je.

J'avais suffisamment médité, il était temps d'aller me confesser. Je me dirigeai consciencieusement vers les prétresses du lieu, choisies pour leur jeunesse et leur dévouement au Dieu de l'achat, qui, derrière leurs machines enregistreuses, font le décompte de nos péchés... Attendant mon tour pour faire pénitence, je vis passer toujours aussi silencieux, son petit, gesticulant et toujours aussi hurlant, sous le bras, le papa qui se résignait à partir sans communier...

Le nombre de fidèles attendant avant moi me laissa le loisir d'observer le chapelet de ceux qui s'avançaient à côté de moi... Là, vision d'un autre temps : de profil, un bel homme d'une trentaine d'années, d'une élégance sobre, près d'une jeune femme, de dos, elle regarde au loin, son port de tête me l'indique. Lui parle, elle conserve un silence hiératique. Il semble si amoureux, il caresse le haut de son bras, près de l'épaule, dans un geste enveloppant qu'il renouvelle souvent. Elle, toujours altière et silencieuse, se penche un peu plus vers lui, quand il lui montre par ce frottement de main toute sa vénération. 

Une fois de plus mes préjugés étaient balayés... Regarde, toi qui sans cesse décries la goujaterie, le manque de galanterie des Français... leur misogynie... regarde-le bien ! celui-là te démontre qu'un homme amoureux, fût-il français, peut se comporter, même en public, de manière délicate, dévouée, respectueuse, tendre, être un homme charmant. C'est alors qu'ils s'avancèrent vers la caissière, lui paya (naturellement...), et je les vis s'en aller. Il l'avait prise par la taille, et là... j'aperçus le visage de la jeune femme... asiatique... Chinoise ? Japonaise ? je n'eus pas le temps de le définir. Et oui, nos hommes sont charmants... uniquement avec ces modèles féminins... d'un autre monde, d'un autre temps... 

Je réglai ma note, toute à ma découverte... et dehors, sur les marches devant le magasin, m'attendaient le papa assis près du fils toujours à crier et pleurer, lui, visage fermé, visiblement dépassé... ou harassé.





A tous les hommes blessés, ou, simplement, comme nous défigurés par ce monde désarticulé... Valérie Leulliot, Mon homme blessé.



Rédigé par Luciamel

Publié dans #Politique - société

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