Le bel amant (9)

Publié le 24 Août 2008

Au bout de vingt longues minutes, je me décidai à rebrousser chemin. "Minute", enfin, ce qu'avant on avait coutume de nommer ainsi, car on divisait le jour (l'espace qui était compris entre deux apparitions du soleil, ou "levers", au moment des équinoxes, quand le temps de lumière était égal à celui de l'ombre) en 24 espaces égaux, dits "heures". La minute, étant le soixantième d'une heure; ça correspond approximativement au temps qu'il nous faut à présent pour faire fondre 4 bonnes poignées de neige dans une casserole sur le feu. La seconde était l'unité de base, ayant été définie par les anciens à partir des pulsations de leur coeur, 3600 représentaient une heure, 60 battements donnaient une minute...

La semi-pénombre dans laquelle nous vivons la moitié de l'année, depuis le début des "Nouveaux Temps", me permettait de distinguer les bâtisses, et de voir le chemin sous mes pieds, à une distance d'environ 50 mètres (c'est-à-dire 100 pas). Pas d'éclairage public, interdit, mais nous disposons à l'intérieur des maisons, d'une recharge de "lumière", que nous enclenchons au moment où la Lune (notre satellite toujours vaillant) passe au-dessus de la montagne. Elle a une durée quotidienne d'environ 10 des anciennes heures, le reste du temps, nous restons dans la pénombre. Notre année se décompose en deux périodes, une de lumière solaire permanente, et une de nuit quasi complète. Toutefois, les températures restent très froides, passant de - 1° en été à - 35° au coeur de l'hiver. Notre organisme s'est adapté à une alimentation essentiellement carnée. Combien de temps survivrons-nous ? Personne ne le sait.

On remarqua à peine mon retour, la table avait été mise, on mangerait l'éternel ragoût de viande, avec ces drôles de champignons, et ces légumes poussés dans des caves chauffées et éclairées en permanence, nouvelles serres des Nouveaux Temps...

Je m'approchai, on m'indiqua une place.

La conversation allait bon train, Nani avait pu se laver, puis se réchauffer quelques minutes... dans le sauna de la famille (la pile d'énergie qui nous était dévolue pour toute la période hivernale permettait d'alimenter les divers appareils nécessaires à notre survie). Il avait repris figure humaine, si l'on peut dire, et je retrouvais sur son visage, les traits de celui, de celle... que j'avais tant aimé(e). D'un amour à la fois filial (du fait de sa première apparence qui m'avait profondément troublé), dévoué (à la cause qu'elle m'avait demandée de défendre) et mystique quand je l'avais vu sous mes yeux devenir Giovani.

Les enfants lui demandaient de raconter l'histoire des Anciens Temps, celle qu'ils avaient entendue des milliers de fois, mais, là, c'était Nani "le cormoran", lui-même, qui allait leur dire tout ce qui était arrivé "en vrai". Il parla du vendredi 2 août 2019, de la montagne qui avait poussé durant la nuit, de la stupeur qui avait saisi la population de Paris, puis de la panique qui avait suivi dans tout le pays.

Comment les rats s'étaient précipités sur la montagne, y avaient proliféré, comme rechargés par la roche irradiée... Au bout d'un mois, devenus gras, imprévisibles de par leur mutation génétique, ils avaient constitué une menace très sérieuse pour la ville; l'hygiène, la sécurité, la santé des habitants n'étant plus assurée.

C'était pour cette raison, qu'on l'avait envoyée (à l'époque son apparence était celle d'un humain de sexe féminin) sur Terre, ou plutôt dans cette vibration de la Terre où se trouve l'humanité. Comprenant l'importance de cette apparence pour l'espèce humaine (bien que des femmes fussent Présidente et Maire de la capitale, elle sut très vite qu'on ne leur avait laissé accéder à ces fonctions que parce que ces dernières avaient perdu leur prestige d'antan; elles étaient considérées comme des "administratrices", des encadrantes, pas comme des "chefs", le vrai pouvoir s'étant déplacé ailleurs), elle avait dû changer sa programmation initiale et devenir "homme". Pour ce qu'elle avait à résoudre, ça semblait nécessaire. Ainsi, en une nuit aussi, Helena devint Giovani.

Ce fut lui, qui tel le Joueur de flûte de Hamelin, dont la légende fut reprise dans le fameux conte de Grimm, emmena les rats à sa suite, et à leur perte. Comme dans la légende, il en délivra la ville, mais ne put arrêter tous les grands malheurs qui s'ensuivirent : la disparition des enfants, partis, comme dans le conte, vers une autre dimension; plus grave encore : la modification de la vitesse de rotation de la Terre, décidée par les Maîtres du Temps. C'est ainsi que nous eûmes la glaciation.

Je l'interrompis :

- Nani, alors ? qu'ont-ils décidé ?
- Nous en reparlerons après une bonne nuit.., il sourit, de sommeil.

(à suivre)

Rédigé par Luciamel

Publié dans #Le bel amant

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