Le bel amant (11)
Publié le 9 Septembre 2008
La nuit était enfin tombée sur la ville, mais son obscurité parviendrait-elle à cacher ce qui était arrivé ? Il avait écouté Nani, de longues heures entrecoupées de temps de repos, pour lui et les enfants, épuisés par cette nuit sans sommeil. Elle ne dormait pas, elle restait là dans le coin de la pièce à les veiller.
Elle lui redit qu'elle n'était pas "humaine", tout en l'étant quand même... Elle avait eu de nombreuses vies sur terre, il y a bien longtemps... son âme avait réussi à se délivrer des incarnations et elle avait fusionné avec l'état de conscience qu'ici bas on nomme "ange"... elle ne l'était pas ange, elle évoluait près d'eux, ces êtres de pur amour, dont le chant est la vibration qui nous rend amoureux, par exemple, ou tout simplement "heureux".
Elle avait choisi de revenir, sans être née, elle avait pu se "matérialiser" un peu comme la montagne, mais sans radio-activité, les anges et les princes de lumière l'avaient irradiée et réincarnée, en femme... or, c'était sans doute ça l'erreur. Il leur faudrait rectifier le tir, ils avaient pensé que les femmes avaient déjà autant de capacité à influencer le destin de l'humanité, mais ils s'étaient sans doute trompés de quelques dizaines d'années. Pour être écouté, pour imprimer sa marque à l'humanité, être crédible et respecté en tant que guide, il fallait encore avoir cette apparence extérieure de la masculinité. Et là, il s'agissait de sauver le monde... Personne ne la suivrait en tant que femme. Elle devait devenir un homme.
On avait préparé le dîner, regardé les infos sur l'écran 3D matérialisé au milieu du salon. La panique commençait à gagner la population, les rats avaient investi la montagne, de tout le pays ils grouillaient... d'autres animaux semblaient perturbés, les chats étaient massacrés par ces hordes de "survivors"... les chiens leur servaient de repas bien souvent, il ne s'agissait pas de paniquer, mais combien de temps tiendrait-on face aux mutants ?
- Mangez.
- A quoi bon Nani ? on va tous mourir.
- Mais non, je suis venue pour vous aider, et mourir... ce n'est pas grand chose, c'est si... même, à certains moments, si bon...
- Vous dites n'importe quoi ! On va crever et vous faites dans le New age, enfin, vous, vous êtes... je ne sais même pas vraiment ce que vous êtes.
Les enfants, eux, continuaient à vivre ça très bien... c'était mieux que tous les jeux vidéos, les films de Batman, de Spiderman, et autres Superman (que des "man"... pour sauver le monde) : ils ouvraient grand leurs oreilles, n'y croyaient qu'à moitié, comme à un conte de fées qu'on leur aurait raconté.
- Les enfants, on va rentrer.
- Non, vous allez rester ici.
- ???
- Il le faut.
- Pourquoi ?
- C'est trop dangereux de partir... et puis, j'ai besoin de vous.
Elle l'avait décidé ainsi, comment s'opposer à elle ? On leur fit deux petits nids douillets dans l'une des chambres, ils s'endormirent si paisiblement... qu'on aurait pu s'en inquiéter, la fin du monde était peut-être là, et ils pouvaient s'abandonner, sans crainte, dans les bras de Morphée.
Bruno était plus qu'agité, pendant que Luc et Emilie avaient renoncé à lutter contre la vie diurne, lui, continuait à vouloir réagir. Elle le vit si perdu si paniqué, un instant elle eut pitié puis se ravisa, revint à ce pour quoi elle était là et lui dit :
- Vous devez m'aider.
- Pardon ?
- Oui, vous seul pouvez le faire à présent.
- Aider à quoi ?
- A devenir un homme, à sauver le monde.
Il ne put s'empêcher d'éclater de rire, un énorme rire... hystérique même, tout son stress, sa culpabilité d'avoir, d'une certaine manière, été co-responsable de ce qui advenait, tout cela... il l'expulsait dans un énorme éclat.
Nani vint s'asseoir près de lui, elle était extrêmement calme... elle tourna son visage au teint de porcelaine, aux yeux de firmament, vers lui. Soudain, il sentit lui traverser le corps comme un courant de lumière... ça chauffait et dilatait, ça ouvrait tout sur son passage. Elle avait posé sa main derrière son cou, puis l'avait glissée lentement le long de sa colonne.
Il a su à ce moment-là qu'il devait se laisser faire.
Son corps à lui s'est mollement laissé tomber sur le sofa, et elle l'a comme habité tout entier... investi dans ses plus petits retranchements... il n'y eut plus aucune partie de son être qui ne fut visitée par Nani. Fut-ce sexuel ? fut-ce spirituel ? que se passa-t-il vraiment, mis à part qu'il ne sut plus où il était (dans son corps à lui ou à elle) ? Il se sentit femme, il était dans son ventre à elle, il avait ses seins, leurs peaux ne faisaient plus qu'un; ses mains, sa bouche, à elle, étaient devenues les siennes. Plus rien n'appartenait à personne.
Alors, il la vit, tandis qu'il se sentait vivre en elle, la femme auquel tout son corps s'était greffé, il la vit elle... muter, muer, sous ses yeux, devenir Giovani.
(à suivre)