Pourquoi les Japonaises pleurent...
Publié le 4 Novembre 2008
Groupe du lundi matin (je suis prof dans une école privée, de français pour étrangers, adultes, cadres sup, souvent très friqués, pour ceux qui n'auraient pas suivi) :
Deux Japonaises, une Chinoise... (mini-groupe).
Et on se présente, et "que faites-vous dans la vie ?" et "pourquoi étudiez-vous le français ?"... Sauf que, là, on a eu un grain de sable dans le sablier... L'une (japonaise) demande à l'autre (japonaise aussi) : "où habitez-vous ?", l'autre après avoir écarquillé les yeux plusieurs fois lui dit : "Tokyo"... la première ne se démontant pas (jeune, dynamique, arrivant de Nice, où elle avait suivi une formation très intensive de français) : "mais où à Tokyo ? dans quel quartier ?". C'est là où Mayu s'est défaite... elle a regardé dans le vague, a plusieurs fois froncé les sourcils... impossible de retrouver... où...
La petite (en fait, assez grande) Japonaise, ne comprenant pas bien, insiste, lui donne la liste des quartiers de Tokyo, l'autre pas paniquée s'interroge en direct, non... je ne me souviens plus où j'habite à Tokyo... Je sens un malaise, je demande à Satoko (la plus jeune) de nous dessiner un plan de Tokyo, de nous situer les différents quartiers, l'autre va pouvoir se repérer...
Rien n'y a fait, elle était dans le vague... je leur dis de se parler en japonais, et Satoko me confirme, par traduction, que Mayu a oublié où elle habitait.
Je continue, comme si de rien n'était, Sophia, la Chinoise, qui depuis le début du cours ne s'est nullement démontée, a répondu à toutes les questions, a montré un enthousiasme à toute épreuve... et continue à regarder avec gentillesse et attendrissement Mayu...
Je pose une question : "quel temps fera-t-il cette semaine ?" ou quelque chose d'approchant... et voilà que Satoko fond en larmes... et elle continuera à pleurer pendant les deux heures qui ont suivi... Je ne pouvais plus rien dire, plus rien demander, elle pleurait... à grosses larmes.
A la fin... on a mis Mayu en cours particulier (en fait, on la connaissait déjà à l'école, on avait voulu essayer une fois encore de l'intégrer dans un groupe... sans succès), le lendemain le "groupe" n'aurait plus cet élément perturbateur...
Ce qui m'a étonnée, c'est la réaction de Sophia, si attentive et participative pendant tout le cours quelles qu'aient été les perturbations... Elle a explosé à la fin, quand tout le monde est parti : "Mais qu'est-ce qu'elles ont ces Japonaises à pleurer tout le temps ? je ne comprends pas ça. Moi, si je perds la face, si j'ai honte, j'en profite pour progresser... Elles, elles n'arrêtent pas de pleurer" (elle avait été précédemment dans un groupe où une jeune Japonaise opérée de l'appendicite en France, et dépressive après ça... fondait régulièrement en larmes). "Je n'arrive pas à les comprendre, c'est incroyable d'être comme ça."
Sophia, une superwoman, une Kill Bill, elle m'étonne. Mayu, finalement, est aussi libre qu'elle. Celle qui n'a rien compris, trop déstabilisée... c'est Satoko : le monde devrait toujours nous rassurer en ressemblant à ce que nous voulons qu'il soit, se dit-elle...
Mais non Satoko, le monde n'est pas ainsi. Et, arrête de pleurer !
André Masson, parce que Sophia m'en a parlé, elle qui est proche de son petit fils, elle a visité les lieux où il a habité, a vu les tableaux qu'il a laissés, qui s'enthousiasme aussi pour cette création, elle s'enthousiasme... un point c'est tout.