"Le papillon est un mot d'amour plié en deux"
Publié le 18 Janvier 2009
Il y a deux moments de la semaine où la vie en solo (et sans enfant) me semble la chose la plus douce qui soit : le samedi quand je fais mes courses, et le dimanche en fin d'après-midi quand je rentre chez moi. Ô joies de la vie de célibataire.
Je vais dans un supermarché pour bobos (bio), des gens, normalement constitués... Evidemment, on prend un caddie (c'est à perpette les oies, je ne m'y rends pas que pour acheter deux pommes et de l'eau)... évidemment c'est embouteillé le samedi... Sauf que là il y a aussi tous les trentenaires à poussettes, et enfants en bas âge qui pèsent et collent les étiquettes pour leurs parents, c'est le côté "ludique" et interactif de leur vie familiale. C'est leur fierté, leurs gosses, donc patience. J'adore les enfants, là n'est pas la question.
C'est donc dans ce temple de la branchitude et de la décontraction que j'ai entendu un "père" (attention, on frôle le divin en disant ce mot) s'adressant à sa compagne (certains diraient "épouse"), et du haut de sa paternité, poussant bien fort une poussette, forcément, s'exclamer :
- Ils devraient interdire les caddies ici.
Je lui ai jeté un oeil noir (évidemment), celui de la vieille fille (en fait, même pas... puisque mariée 7 ans, mais c'est tout comme, car sans enfant).
La France est championne d'Europe de la natalité, soit. Pas étonnant que deux intellectuelles de renom s'interrogeant sur le sacré en concluent qu'il est équivalent à la maternité : pour trouver Dieu cherchez la mère ! En même temps elles se disent toutes les deux athées... de là, à s'être prises pour Dieu le Père, tout simplement...
Les hommes s'y mettent, eux s'identifient à la mère, ils deviennent mère et femme à leur tour... sans vouloir me lancer dans la tirade chère à Zemmour, des déesses mères partout, ça me donne le tournis.
Hier, croisant cette jeune-femme à poussette, deux enfants, une d'environ un an (dans la voiturette), l'autre dans les 6 ans (sur ses gambettes) j'ai été fort intriguée et j'ai même failli la questionner, puis j'ai renoncé. La pauvre n'avait pas de caddie, un panier qu'elle traînait péniblement du pied, devant la caisse. Je n'ai pas compris pourquoi elle parlait en espagnol à la plus petite, et en français à l'autre. A priori sa langue à elle, la mère (la langue maternelle ?) était son français tout à fait impeccable, l'espagnol bien qu'excellent me paraissait plus laborieux. L'aînée s'adressait à sa soeur en français (elle l'a engueulée parce qu'elle avait fait tomber quelque chose : "tu ne bouges pas !", lui répétait-elle, avec toute la dureté de l'enfance). La mère changeait de code linguistique toutes les 20 secondes... Je me suis demandé ce que "langue marternelle" pouvait vouloir dire dans ce cas-là. C'est aussi ça les bobos... dès le berceau ton gosse tu le cultives (bilinguisme forcené).
Je suis bien aise que les parents récupèrent leurs bambins, surtout le dimanche en fin d'après-midi. Vous les voyez dans les rues, tout énervés d'un week-end passé ensemble 24h/24, ils semblent exténués et heureux de retourner au boulot, ou à l'école, le lendemain. Ca pleure, ça avance péniblement. Je me dis que vraiment c'est cher payé pour être Dieu sur Terre aux yeux d'un enfant. Cet amour qu'on croit total dure généralement jusqu'à l'adolescence, ensuite l'idole tombe de son piédestal. Et c'est ainsi depuis la nuit des temps... mais toujours on y croit à ce Dieu qui a été, qu'on a été. Combien d'horribles personnages (ce père vu un jour dans le métro, abuser de son pouvoir d'adulte sur ses enfants, et se venger littéralement de toutes ses frustrations en les maltraitant, eux soumis et subjugués comme face à une divinité) sont d'horribles parents, et pourtant des Dieux pour leur progéniture...
Finalement, Kristeva et Clément ont peut-être raison, mais c'est là l'un des biais par lesquels le divin se manifeste à nous. Quoi que ce soit, l'amour en est le porte-parole. Une porte s'ouvre et, soudain, nous voilà touchés à jamais par son firmament.
Dieu sur Terre est dans le rire de l'enfant, dans son regard, son langage... avant l'âge de raison, car après il devient un petit homme, tout bêtement.
Dernière image du film d'Oliveira, Le miroir magique, un gamin rieur, une fleur à la main, en écho à l'adulte commentant le "principe de l'incertitude" : la seule certitude que nous ayons c'est celle de notre mort, énonce-t-il, en réponse, le tout petit s'illumine et rit.
Je comprends votre dévotion mais le dimanche soir je suis heureuse de rentrer seule à la maison. D'être une enfant libre, au bord du fleuve.
Aniki Bobo, 1942, (Manoel de Oliveira), photo Instituto Camoes
L'amour éveillé en nous, par l'enfant, par le compagnon, la compagne, d'une vie ou d'un bout de voyage, il est sans doute là le divin. Certains le trouvent partout... dans la vie même qui les traverse.
"Mais un enfant
Et nous fuyons l'enfance
Un enfant
Et nous voilà passants
Un enfant
Et nous voilà patience
Un enfant
Et nous voilà passés"
"Pâle septembre
Entends-tu le glas que je sonne ?
Je t'aime toujours d'amour
je sème l'amour
Les saisons passent mais de grâce
faisons semblant qu'elles nous ressemblent
Mais qui est cet homme qui tombe de la tour ?
Mais qui est cet homme qui tombe des cieux ?
Mais qui est cet homme qui tombe amoureux ?
Pâle septembre,
comme il est loin,
le temps du ciel sans cendres
il serait temps de s'entendre"
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N.B. et P.S. : le titre de mon billet "le papillon est un mot d'amour plié en deux" est le sous-titre du film Le papillon (c'est écrit sur l'affiche, mais un peu difficile à lire...)