L'île des morts
Publié le 31 Janvier 2009
Ecrire. Ne pas écrire. Faire la grève. Et puis... que dire qui vaille la peine ? (si ce n'est pour participer au joli charabia littéraro des blogs, c'est-à-dire au "je m'écoute écrire..." et j'aime ça); pourquoi allumer mon ordinateur ? et transmettre au monde de mes 50 lecteurs quotidiens - ou plus, ou moins, mais qu'importe - des pensées qui n'intéressent sans doute que moi..?
A pied dans Paris, j'avais laissé ma voiture sur le trottoir, et croisai ma voisine à qui l'on avait voulu arracher le coeur, sauf que les sots l'avaient situé à droite... car, face à leur gauche à eux; voilà bien qu'ils agissent comme nous, internautes de base : ils inversent tout, projetant sur l'autre leurs propres tares, voire leur talent (l'effet miroir).
Même les démons aujourd'hui font rire. Comme ces jeunes, des gothiques à ce qu'ils disent, croisés tout à l'heure devant leur boutique.
Heureusement, j'avais mieux à faire. Rendez-vous pris avec Barbara pour visiter l'expo de Simon Gaetan. La crypte nous accueillit tel un ventre aux couleurs chaudes, et à la "circumdité" réconfortante. Le maître de céans nous fit l'honneur de nous initier aux petits secrets cachés de l'oeuvre, Barbara, l'experte, releva les influences, et pour un certain tableau, se référa à Bonnard. Ce sur quoi, Simon nous parla du suicide d'une des modèles du peintre. Moi, saisissant la balle au bond du sujet qui me taraudait depuis le matin (j'avais rêvé du suicide du père d'une amie, et avais, dans la nuit, remonté le temps pour trouver la clé du mystère) lançai : parlons-en du suicide ! Et nous voilà partis (je vous laisse retrouver le fil) sur Laurence Parisot, les grèves, Sarkozy, Villepin, Napoléon III et Victor Hugo, pour arriver à la conclusion que forcément il, Sarkozy, allait sauter (ou nous...).
Pourtant, au sortir dans la nuit froide, c'étaient bien les couleurs (le noir-japon, les bleus, les "terre", le blanc), les visages, l'intensité des thèmes traités par l'artiste qui demeuraient présents à nos esprits : la force des regards (du regard ?) tournés vers nous, l'interrogation des corps, exposés au regard du peintre (au nôtre ?). L'ange, lui, avait les yeux baissés et baignait dans l'obscurité.
Notre fin d'après-midi était chargé, et après ce plat bien consistant, nous sommes reparties au pas de course vers la galerie Blondel, où mon cher ami Zoltan Zsako avait son vernissage. Barbara fut séduite par l'ampleur et la qualité de l'oeuvre. Elle me dit les influences de la Renaissance, la facture très classique du trait, les thèmes bibliques, la mythologie, mais surtout... l'originalité du travail : des bas reliefs moulés sur du plâtre, recouverts parfois de feuilles d'argent, la finesse du dessin.
Elle resta plus longtemps devant la Cène en Seine, et Transposition, où elle reconnut "L'île des morts" de Böklin. Ca lui semblait évident, elle m'en traçait les contours, me disant que quand on l'avait vue une fois on ne pouvait l'oublier, elle me parla de sa mise en musique par Rachmaninov. Je ne manquai pas de m'en enquérir auprès de Zoltan, lui demandant si son tableau n°13 (ah...) était inspiré par... il ne me laissa pas terminer : "oui, c'est un hommage à "L'île des morts" de Böklin". Il nous expliqua ensuite qu'il l'avait réalisé dans le cadre d'une expo, au Grand Palais, dédiée à ce thème.
Voilà, comment, quand on se sent vide... et peu enclin à communiquer, la vie nous prend par la main, et nous emmène à la croisée des chemins, jusqu'au bout de la nuit.
Nous nous quittâmes en ce début de soirée, heureuses d'avoir rencontré ces artistes dont les oeuvres interrogent l'ici humain (ecce homo), et le surgissement d'un certain au-delà.
L'île des morts de Böklin
Photos (c) Luciamel, sauf Ecce Homo de Antonello da Messina et Böklin