Je suis qui je suis
Publié le 13 Septembre 2009
Photo, empruntée ici. Agustina Bessa Luis :
"Je ne me prends pas trop au sérieux.
C'est la meilleure façon de vivre.
Celui qui se prend trop au sérieux se retrouve toujours
dans une position d'infériorité face à la vie."
***
- Oui, j'ai bien aimé.
- Ah bon ? t'as bien aimé ?
- C'est toujours comme ça le rythme de ses films, je savais.
- Tu t'es laissé prendre ?!...
- A la fin moins qu'au début, mais oui...
Vous l'avez naturellement deviné, c'est du dernier film de Manoel de Oliveira dont il était question. Devant Le latina, un soir de la semaine passée.
Il vient d'adapter, comme à l'accoutumée (rappelez-vous La princesse de Clèves... : La lettre), une oeuvre littéraire, un grand nom de la littérature portugaise, presque toujours. Cette fois-ci il s'agissait de Eça de Queiros (mais au Portugal, quand on aime on ne dit plus le nom de famille, qu'il s'agisse d'une femme ou d'un homme, on dit "Eça", comme on dirait "Arthur" pour Rimbaud, sauf que ça ne marche pas pour Pessoa, ou Camões, ou Garrett, ou Torga... ou Saramago, ou Lobo Antunes, là, pas de Fernando, de Luis, d'Almeida ou de Miguel, de José, ou d'Antonio qui tienne... compliqué, finalement, cette histoire de prénoms : on le fait seulement pour ceux qui en ont un hors du commun).
Une nouvelle, avant d'être un film : Singularités d'une jeune fille blonde.
Au début du film (car je n'ai pas lu la nouvelle), ça m'a fait penser à celui (trait pour trait : la fenêtre, l'homme fasciné, la blondeur de la fille, le magasin de tissus... à croire qu'Eça l'avait lu avant...) de La maison du Chat-qui-pelote, vous savez.... la nouvelle de Balzac, celle qui ouvre La Comédie humaine.
Eça était féru de littérature française et on a souvent dit de lui qu'il imitait Zola, son réalisme, mais Zola est naturaliste plus que réaliste... Moi, je le rapprocherais plus de Balzac, dans son côté "père du réalisme"... et sa fascination pour la bourgeoisie. Cette intrigue, en tout cas, me semble hautement balzacienne, ou peut-être, par la chute, non sans lien avec Flaubert (qu'il admirait beaucoup) et L'éducation sentimentale.
Vous n'y verrez pas décrit le Paris de la rue Saint Denis, en 1811 et les bourgeois qui y vivent du commerce textile (la famille de Balzac). Non, c'est de Lisbonne dont Eça nous parle ici.
Lui qui sera Consul du Portugal en France, à partir de 1886, et mourra dans sa maison de Neuilly, le 16 août 1900, a toujours admiré la culture française.
N'oublions pas, tout de même, qu'il s'agit de l'un des plus grands écrivains de langue portugaise (je le rapprocherais d'un Machado de Assis, brésilien, lisez les sublimes Mémoires posthumes de Bràs Cubas ! publiées en 1880). Et je ne vais pas vous faire la blague de vous affirmer qu'il était un écrivain femme... (comme, dans mon précédent billet, je l'avais soutenu de Pessoa et de Rimbaud). Allez le lire et vous verrez.
Mais... je voulais vous parler, avant toute chose (pour vous convaincre qu'une grande écrivaine est de la même trempe qu'un grand écrivain...) de celle qui, pour nous Portugais, est une fierté.
Elle qui a été une grande inspiratrice de Manoel de Oliveira. Elle qui comme lui est originaire de Porto, elle qui est une grande dame de la littérature portugaise : Agustina Bessa Luis. Mais on dit "Agustina".
Sa trilogie : Le principe de l'incertitude, dont Bijou de famille (2001), L'âme des riches (2002), et Les espaces en blanc (2003) est une référence, pour Manoel de Oliveira mais aussi pour tout le monde de la lusophonie.
"Eu sou quem sou" / "Je suis qui je suis", c'est l'admirable expression d'une transcendance éternelle à l'ombre de laquelle la femme se protège. Ils sont nombreux les noms de la femme, mais elle se réserve à elle-même un symbole plus intime que personne ne connaît"
in. couverture de L'âme des riches (traduction (c) Luciamel).