Gabrielle Russier est morte pour la deuxième fois.
Publié le 1 Mars 2011
Une femme est morte. Gabrielle Russier. Elle a été accusée d'avoir eu des relations sexuelles avec un de ses élèves, un jeune-homme de 17 ans, elle avait 32 ans. La société a condamné non l'acte (combien d'hommes de trente ans ayant couché avec des jeunes femmes de 17 ans ont fini en prison ? à cette époque-là, 1969, ou aujourd'hui) mais la femme. Pompidou s'en est ému.
"Je ne vous dirai pas tout ce que j'ai pensé sur cette affaire. Ni même d'ailleurs ce que j'ai fait. Quant à ce que j'ai ressenti, comme beaucoup, eh bien,
Comprenne qui voudra !
Moi, mon remords, ce fut
la victime raisonnable
au regard d'enfant perdue,
celle qui ressemble aux morts
qui sont morts pour être aimés.
C'est de l'Éluard. Mesdames et Messieurs, je vous remercie".
Le poème est en effet de Paul Éluard, écrit dans un tout autre contexte, celui de l'épuration (et de la "collaboration sentimentale" de nombreuses Françaises avec des soldats allemands - drame évoqué avec beaucoup de finesse et de pudeur dans la chanson de Gérard Lenormand, "Warum mein Vater"). Au vrai, Monsieur Pompidou devait s'attendre à la question, et avait distrait dans ce but quelques vers du poème. Peu importe : l'intention était louable, et l'émotion semble-t-il non feinte.
Et l'on a su, depuis, qu'il avait effectivement ordonné une enquête sur la responsabilité mêlée de l'Éducation nationale et du monde judiciaire, et plus précisément sur le fait que le cas Russier avait échappé aux mesures d'amnistie qui, traditionnellement, accompagnent toute nouvelle élection.
(vous pouvez retrouver l'intégralité de la citation, ainsi que le poème d'Eluard ici)
Elle s'est tuée, ou plutôt la société l'a tuée, notre morale a lapidé celle par qui le scandale était arrivé.
Oh, mais de nos jours ça n'existe plus ces choses-là, pas chez nous, pas dans nos "pays développés", seulement en Iran, ou en Afghanistan, voyez Demi Moore ou Madonna... Aujourd'hui, les femmes sont des Cougar, libres de leur corps et de leur destinée... Et mon oeil ? tu l'as vu ?
Pas plus tard que ce matin j'ai lu dans Direct Matin (reprenant une étude de l'INSEE) que 90% des Françaises auront un enfant dans leur vie... que pour s'épanouir une femme doit avoir des enfants (50% des Français avant 30 ans partagent cet avis, et 80% des plus de 65 ans). J'ai aussi lu que les féministes américaines avaient protesté quand Natalie Portman avait déclaré lors de la cérémonie des Oscars que son bébé, et "sa nouvelle identité" en tant que mère, était le plus beau rôle de sa vie. Une femme ne se réalise-t-elle que par l'enfantement ? va-t-on toujours servir aux 10% de femmes qui n'auront pas d'enfant, elles qui ne se sentent pas des sous humains, ni des sous-femmes... que seulement en procréant on sait ce qu'est être femme ? Comme si l'amour, et l'amour des enfants, l'amour complet, l'amour parfait, l'amour absolu... ne se concevait que dans cette relation mère-enfant... cette relation dont on sait tant les névroses et les souffrances qu'elle génère... Comme si l'humanité ne se concevait que dans biologie-là. On se demande (quand on ne l'est pas soi-même) comment les mères, et les pères, oublient si facilement les conflits, les douleurs, qui les relient à leurs propres parents. Nous sortir du biologique, le pourrons-nous un jour ?
Aujourd'hui la société nous demande, comme par le passé, de nous soumettre, de nous plier... à ses diktats, à ses douces contraintes... celles qui nous permettent de faire partie des 90% de femmes... comme il faut, des vraies femmes... celles qui ont eu des enfants, celles qui ont allaité (nous dira-t-on bientôt), celles qui ne se sont pas écartées de la norme : mari, famille, patrie. Celles qui n'ont pas dérogé, celles qui maintiennent haut et fort le modèle social.
Je fais partie des 10% de celles qui n'ont pas eu d'enfant, celles qui les aiment pourtant, celles qui se sentent femmes tout autant, celles qui sentent qu'être femme ce n'est pas seulement enfanter, que de ne l'avoir pu est peut-être une opportunité (je ne dirai pas que c'est une chance) : celle de savoir qu'on peut aimer profondément, qu'on peut être totalement humain quel que soit notre destin.
Gabrielle Russier était une femme libre. Annie Girardot était une femme libre. Comme elles, je voudrais être libre, sans nécessairement avoir à être la victime de la société.